F002

un échec de la retranscription


texte(s), confinement journée 15, dans le projet ‘lockdown, an archive’, France & internet, 2021


Envie de mots, à nouveau. Envie de mots bruts, envie de mots images. Des images en mots et des mots en image. Peut-être parler d’écriture automatique, que je pratique depuis des années maintenant. Peut-être parler de musique. De sons-espaces. De sons-paysages. Peut-être parler du mouvement créatif, à nouveau. Mais j’ai faim, je n’arrive pas à me concentrer. J’ai sommeil et j’ai aussi un peu peur. Peur du temps qui passe et de ce bouquet d’eucalyptus qui sèche sous mes yeux. Impuissante face au temps, impuissante face aux aléas. Impuissante. Une créativité en crise.

Aujourd’hui, je ne veux rien montrer.

Triste. Sans Insomnie à raconter. Sans cauchemars à décoller de sous mes ongles. Sans orgasmes pétrifiés. Sans aléas en beauté. 



J’apprends hier qu’un glacier près de chez moi est en train de mourir, comme les autres. Celui-ci, on lui donne 3 ans. 3 ans. Ça me détruit. On m’a aussi dit que pour construire cet immeuble beaucoup d’arbres ont été coupés. Ça me fait -physiquement- mal. Aussi ridicule que cela puisse paraître. À Londres, ils ont coupé un arbre centenaire. Avec Extinction Rebellion, on s’est révolté, on a essayé, on y était. Oui, j’ai pleuré. Comme je pleure ce glacier. Cette impuissance revient. C’est comme si ces entités (arbres-glaciers-…) faisaient partie de mon corps et que je mourrais avec elles. Peut-être s’agit-il d’une compassion trop extrême, ou du sentiment infantile de toute-puissance qui ne passe pas. Mais je ne crois pas. Je ressens plutôt une extrême sensibilité, une émotivité énorme, une affectivité exorbitante. Souvent moquée. J’ai l’impression d’être à part, différente, depuis toujours. Je peux passer deux heures à regarder l’écorce d’un arbre, les mouvements du vent dans ses feuilles, la terre qui recouvre ses racines, les verres et fourmis qui affluent. Cela peut me contenter pour une journée de vie. Quel spectacle sublime de pouvoir observer cela, d’en faire partie, des respirer les mêmes vents, d’écouter ensemble les mêmes musiques de la forêt. Quelle chance inouïe de témoigner de ces élégances brutes. Quelle jolie intuition de faire partie de l’éco et de s’éloigner de l’égo. De sentir dans mes tripes au plus profond que cette nature n’appartient ni à moi ni à personne. Que le concept de propriété sur les terres et les éco-systèmes est un viol des entités non-humaines, une déclaration de possessivité sur ce qui ne peut être possédé. La domination humaine sur la nature me fend le coeur. Et oui, cela m’a fait pleurer plus d’une fois. Quel spectacle sublime de voir dans les neiges de mars les premiers bourgeons du printemps, qui sous la terre pendant l’hiver ont enflé. Depuis plusieurs années maintenant, je rythme mes temporalités au rythme des lunes et saisons. Cette danse en continu a quelque chose de si rassurant. J’écris en sachant  que jamais je ne pourrais retranscrire, ni traduire ces émois, ces frémissements, cette ivresse, de trouble aussi.

Un échec, à nouveau, de la retranscription, une perte dans la traduction, un dégât créatif, une déchéance artistique. 



  
                                         - Camille Dedenise


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