F001
des mots qui essayent
texte, confinement journée 7, dans le projet ‘lockdown, an archive’, France & internet, 2021
Créer oui, mais quoi. Je m’observe dans ce projet, dans les règles de mon propre jeu. Je suis au sixième étage de mon Base Camp. Seule. Il y a mes affaires, des boîtes de feutres et crayons ouvertes, des carnets remplis à moitié, des livres ouverts, des piles de vêtements, des cartons encore fermés de Londres, je suis résolue à ne pas ouvrir certains souvenirs moisis. Cette pièce, petite, une mansarde avec une fenêtre sur le ciel, de la moquette sur les murs, une table de camping en métal, orange, ouverte. Cette pièce est à l’image de cette période : un no man’s land temporel, cependant bien existant. Je souffre de la solitude, je ne veux plus créer, je ne suis pas inspirée. Je n’ai pas ma fougue, mon dynamisme, cette si belle énergie qui me fait m’envoler. Je suis lourde, des idées passent, beaucoup, mais je n’arrive pas à en accrocher une. Je prends une idée, la regarde, je vois son potentiel, et puis … à quoi bon. La perspective de poster sur Instagram m’emmerde. Ça ne me plait pas, entre les follow et les likes, je ne m’y retrouve pas vraiment. Ce que je veux, ce sont les musées, les expositions, des endroits d’arts. Plus d’un an sans musée. Sans aller à une exposition, et surtout sans en faire. Je vois bien autour de moi, l’internet comme sauvetage, bouée des naufragés de l’art : des expositions virtuelles, des zooms, des pages instagram qui fleurissent. Beaucoup de belles initiatives, qui d’ailleurs, posent la question de l’accès à l’art, car comme Bourdieu l’explique si bien, entrer dans un musée, ce n’est pas si simple, ni accessible. Alors, cette crise rendrait-elle, presque paradoxalement, les arts, plus accessibles ? Les formes digitales entendent bien évidemment poser cette question. Comme durant toute crise, les arts se meuvent : car les arts ne sont pas en marge d’une société, ils en sont leur production même. Mais malgré cela, sans perspective d’exposition, d’échange, tout mon processus de création est démoli, que reste-t-il ?
À cela, s’ajoute la solitude. Magnifique et ennuyante. J’explore, je me dis qu’explorer cet état de lassitude et crise créative est en soi intéressant. Cependant, chaque journée de création semble se terminer par la créativité de l’échec, à nouveau, cela n’a pas fonctionné, à nouveau, la lassitude. À cela manque une autre perle essentielle : l’excitation du momentum créatif. Et la perspective. Puisque la perspective de poster sur Instagram ne me plaît pas (mais je m’y accroche, je navigue mon inconfort car j’y vois un potentiel digital important), alors, quelle perspective ? Et dans ce manque d’adrénaline créatif, d’excitation, de momentum, les réseaux sociaux rajoutent une autre dimension à la solitude : “les autres, eux, y arrivent”. Dans cette illusion, bien présente, raisonnée, mais vécue comme une réalité, je me baigne dans l’inconfort. Je me demande alors si je ne me donne pas moi-même l’illusion d’y arriver alors que je vois bien que je n’y arrive pas : mais ne pas y arriver et en faire matière, c’est déjà y arriver.
À cela, s’ajoute également le décalage entre l’idée de création et la production finale. Un décalage présent toujours, indispensable même, d’une beauté inégalée si l’on embrasse les erreurs et aléas - (je ne parle ici pas du décalage de l’image du Sur Moi artiste et de Moi artiste, mais du décalage de la matière dans le processus : l’écoulement du temps et de la production comme décalage obligatoire). Dans cette période, même ce décalage (qui d’habitude m’enchante), me démoralise : au lieu d’être un décalage du médium, il est un décalage des désirs. Je n’y arrive pas, et ce décalage vient illustrer simplement le fait que je n’y arrive pas. Mon désir ne se matérialise pas. Quel désir persiste, là, dans ce no man’s land temporel ?
Mais alors, que reste-t-il ? Le processus est ébranlé, un château de cartes détruit : que reste-t-il ? Peut-être produire, simplement créer, même si {inclure liste}, créer à en crever car déjà le reste est crevé, et sans art, pas d’archives, de vie, de monde, de désir.
- Camille Dedenise